Approche de la littérature corse


Contribution rédigée en 2009 par Josepha Giacometti, doctorante à l'Université de Corse pour le projet LEM.



Nous allons tenter de brosser un panorama succinct de la littérature Corse. Elle est un champ bien souvent méconnu. Souvent comparée de manière péjorative à la littérature italienne ou française, elle peut se prévaloir aujourd’hui d’une histoire de presque deux siècles et d’une grande diversité de genres.

La première génération :

Les premières traces de l’usage de la langue Corse dans un texte littéraire  apparaissent dans une œuvre en toscan de Salvatore Viale « La Dionomacchia »(1817) où quelques vers d’un poème « U serinatu di Scappinu » sont écrits en Corse
C’est en 1896, avec la naissance du journal « A tramuntana » que la langue corse, fait véritablement son apparition à l’écrit. Santu Casanova fondateur du journal, va donner à la langue un usage nouveau. Pendant longtemps les écrits de Santu Casanova feront références.

Il faut noter que dans la première moitié du XXème beaucoup de poèmes et de petites nouvelles en langue corse seront diffusées par le biais de journaux comme A Cispra (1914), A Muvra (1920) et l’Annu Corsu (1923).

C’est en 1930 que paraît le premier roman en langue corse « Pesciu Anguilla » écrit par Sebastianu Dalzeto. L’après-guerre sera marqué par une « longue traversée du désert » en matière de production littéraire en langue corse. En effet en dehors de quelques écrits parus dans le Journal U Muntese créé par Petru Ciavatti en 1955, la production en langue corse est absente. Cela est lié au débat d’après guerre autour des dérives irrédentistes des membres d’A Muvra.

« A Leva di u settanta » :

Il faut attendre les années 70 pour qu’émerge une dynamique productive autour de la langue corse. Cette période est appelée le « Riacquistu » (la ré-acquisition) ou encore « A leva di u Settanta » la génération des années 70. En effet une nouvelle génération d’auteurs va donner un nouveau souffle à la production littéraire corse. Ils s’inscrivent dans un mouvement de réappropriation plus large politique, social et culturel, sur lequel nous reviendrons.
Il ne peut être possible de comprendre le cheminement de la littérature corse sans le replacer dans le contexte de l’époque. En effet les années 70 sont marquées par une réflexion autour de la langue corse et de son statut, celle-ci considérée comme une langue « allogène » par la loi Deixonne de 1951(loi sur le statut des langues régionales en France) n’y sera inclut qu’en 1974.Le rapport diglossique avec la langue française et la volonté de le dépasser vont bien évidemment marquer la littérature insulaire. Ainsi que les questions d’ordre linguistiques et grammaticaux, autour d’une norme à établir qui seront peu à peu dépassées notamment avec la parution en 1971 d’Intrecciate e cambierine premier manuel de grammaire et d’orthographe en langue corse écrit par Pasquale Marchetti et Dumenic’Antone Geronimi.
Les années 70 voient donc l’émergence d’auteurs nouveaux qui rompent avec une tradition de la « pratique remémorante », bien que certains non sans talent conservent une thématique traditionnelle comme Michele Poli, Lisandru Marcellesi ou Ghjuvan Ghjaseppiu Franchi.On pourrait aussi citer Antone Trojani qui est plus dans les « ricordi » (souvenirs) avec notamment Dopu Cena (1973).
 
« De 1973 à 1987, c'est en effet une nouvelle génération d'auteurs qui, autour de la revue emblématique Rigiru (Le Renouveau), a envahi la scène littéraire corse. La prose y a tenu une place non négligeable. Cette importante prise de conscience, qui a caractérisé ce que l'on a appelé la « rumpitura di u sittanta » (la rupture des années 1970), a permis l'éclosion d'oeuvres qui paraîtront un peu plus tard. On citera par exemple R.Coti, né en 1944, et qui a indéniablement dominé cette période ne serait-ce que par sa prolixité, G.Thiers , G.G.Franchi, G.Fusina, S.Casta et M.Poli. »
 
On n’oubliera pas de citer également Ghjacumu Fusina qui avec ces « Prose Elzevire » crée en quelque sorte un nouveau genre littéraire « sorte de « marge » où peuvent se définir ces écrits corses inclassables et caractérisés par leur brièveté ».
Cette nouvelle génération d’auteurs va contribuer à apporter une légitimité à la langue corse.
Les évènements s’enchevêtrent et la réouverture de l’Université de Corse en 1981, avec la création de la filière études corses en 1982, vont contribuer à établir un socle fort pour la réflexion autour de la langue Corse. On y retrouve bien sûr entre autre Ghjacumu Fusina et Ghjacumu Thiers.
L’édition connaît également un essor, les premières sont les éditions La Marge, viendront ensuite les Editions Albiana et Alain Piazzola qui accompagnent aujourd’hui encore avec d’autres éditeurs la production insulaire.
De nombreux ouvrages à valeur didactique sont également publiés et viennent enrichir la réflexion sur la langue corse en tant qu’objet d’étude.
L’enseignement de la langue corse dans les années 80, va faire émerger une littérature enfantine foisonnante notamment sur les conseils de Ghjuvan Teramu Rocchi.
La langue corse va également se diffuser dans les médias grâce notamment à la création des médias régionaux entre 1982 et 1984.
L’organisation du prix du Livre Corse va venir récompenser chaque année les meilleurs ouvrages.

Les actions de valorisation au sein de l’Université notamment par une politique d’ouverture aux littératures de Méditerranée au travers d’InterRomania  (notamment sous l’égide d’Alain Di Meglio) vont faire émerger une nouvelle génération d’auteurs pour la plupart issus de la filière Etudes Corses : 
« On remarque aussi un groupe d’auteurs déjà présents dans les années soixante-dix mais qui affirment dans le maniement de la prose une personnalité nouvelle et prometteuse : ainsi Lucia Santucci, Pasquale Ottavi, anciens rédacteurs de Rigiru, C.Bartoli, collaborateurs de Kyrn (magazine insulaire faisant une large place à la littérature Corse) Patrizia Gattaceca, Ghjuvan Petru Orliac, Lucia Giammari et P.Maria Santucci.
Le groupe des « nouveaux » _ dont la moyenne d’âges tourne autour de trente cinq _ est représenté par Alain Di Meglio, P.Zarzelli, P.Desanti, P.S Parigi, G.Benigni(…) Parmi les plus jeunes se signalent les plumes féminines de Sonia Moretti, Gilda Emmanuelli et Stella Medori, et les premiers pas de M.Ventura. » (Mémorial de Corse n°7 Chronique de fin de siècle).

Des années 90 à nos jours :

« De fait, à partir des années 1990, et notamment sous l'égide et sous l'impulsion du Centre Culturel Universitaire (CCU) qui organise différents concours un changement notable a eu lieu. Les causes sont nombreuses : une politique éditoriale plus audacieuse notons que les éditions Albiana consacrent actuellement à la langue corse 30% de leur catalogue ; la possibilité désormais offerte de se faire entendre dans différents média et en général la généralisation du corse à l'école et dans l'espace public. De 1988 à 2003, ce ne sont pas moins de 12 romans qui ont vu le jour. On peut y adjoindre pour la prose 16 recueils de nouvelles, collectifs ou individuels - ce phénomène de la nouvelle étant du reste certainement l'un des plus significatifs. » (Paulu Desanti-Une prose dialogique-Transcript)
 
La création de la revue Bonanova en 1997 sous la direction de Dumenica Verdoni va créer un nouvel espace d’expression pour la langue corse mais aussi pour la création insulaire en générale car , la revue mêle au fil de ces pages, poèmes et nouvelles avec des œuvres d’artistes peintres, plasticiens, afin de décloisonner la créativité insulaire et lui donner une toute autre dimension.
 
Les années 90 et 2000 voit donc émerger une prose nouvelle où l’on assiste à un dépassement du rapport diglossique, et à une recherche de thématiques et de genres nouveaux. On voit également apparaître certains gallicismes, qui choquerait les puristes de la langue, notamment sous la plume de Marcu Biancarelli , on assiste aussi à une ouverture sur le monde extérieur « en cela que ces récits n'ont plus exclusivement la Corse comme cadre géographique ou sociologique. M.Biancarelli, par exemple, n'hésite pas à évoquer l'exil de Saint Jean à Patmos, ou la mort de Sweig au Brésil ».
Bien que des romans ou nouvelles continuent bien sûr à avoir la Corse pour cadre du récit
Avec l’écrivain Ghjuvan-Maria Comiti la langue Corse investit l’univers du polar.
 
 
La littérature corse de ces dernières années prend un ton léger et humoristique désacralisant un peu l’univers de la langue. Par ce biais la langue corse entre dans la modernité notamment sous la plume d’Alain di Meglio et son recueil Macagni (plaies ou plaisanteries).
La littérature Corse, a su démontrer par sa productivité, sa capacité à se diversifier, la force créatrice qui l’anime, gageons qu’il lui reste encore de nombreuses pages à écrire.
 
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