Approche des arts du spectacle en Corse


Contribution rédigée en 2009 par Josepha Giacometti, doctorante à l'Université de Corse pour le projet LEM.



Comment définir la culture corse, plus largement comment définir la culture d’un peuple en général, sans tomber dans l’image et les stéréotypes ?
Ce qui va nous intéresser ici, ce sont les mécanismes, le générateur  de la création.
Comme pour la littérature, qui est elle aussi une expression culturelle, on ne peut pas évoquer  la création en Corse sans parler du « Riacquistu » la réappropriation. Ce mouvement né au cœur des années 70, se veut être celui d’un retour aux sources, sans passéisme aucun, mais avec la volonté farouche, de se réapproprier l’identité afin de donner un sens à l’avenir. 

Cette période de renouveau culturel va se traduire par une grande productivité au niveau de la littérature, du chant, du théâtre,  où langue sera bien évidemment au cœur de tout acte de création.
Ce mouvement va s’accompagner d’une revendication politique, sociale et économique qui va conduire à la naissance du nationalisme moderne.

« C’est, en effet, en quelques années que dans tous les domaines une tradition négligée, voire dédaignée, est recherchée et métamorphosée ; au-delà d’un « riacquistu », il s’agit bien d’un acquistu (acquis) nouveau, intégrant les évolutions récentes en sautant parfois des étapes connues ailleurs. (…)Redevenue l’élément unificateur des Corses et refondateur de leur société, cette culture d’aujourd’hui est sans doute ce que l’île a de meilleur à offrir, dans son authenticité renouvelée ».

Le chant ou l’expression d’une identité retrouvée :

Le chant va occuper une place de choix dans la revendication culturelle des années 70. Rien d’étonnant à cela, le chant a une fonction en Corse, il a toujours accompagné les hommes dans leur quotidien.
Dans les années 70 il va devenir le fer de lance de l’affirmation culturelle.
La polyphonie acquiert une valeur symbolique, elle exprime un être collectif, elle est l’essence et l’identité d’un peuple, qu’il faut réapprendre, se réapproprier afin de pouvoir ensuite la transmettre.
Les premiers militants de cet acte de reconquête vont porter un nom qui résume toute la démarche, il s’agit du groupe Canta u Populu Corsu « Canta ce fut d’abord cela : l’illustration de l’identité avant même sa défense »
La démarche première du groupe exprime bien la volonté de reconstruction. En effet au départ les chanteurs de Canta vont aller de villages en villages, organisant des veillées, des rencontres afin de compiler le fond traditionnel corse.
Le premier noyau étant constitué, Canta va débuter son étape créatrice et va également se produire dans toute l’île faisant salle comble, ils se produiront même au Théâtre de la Ville à Paris en 1981 où ils vont rencontrer un succès phénoménal. Les Corses redécouvrent à travers Canta leur identité. Peu à peu de la dynamique Canta vont naître tous les groupes que nous connaissons aujourd’hui : I Muvrini, Diana di l’alba, I Chjami Aghjalesi, E duie Patrizie.
 
Cette multiplication va donner au chant corse une grande diversité et une production importante qui ne s’est jamais démentie. Aujourd’hui encore de nombreux groupes de jeunes voient le jour chaque année.
 
Le chant va être également porteur d’un message politico-culturel, dans les années 80 Canta et I Muvrini seront à plusieurs reprises interdit dans certains villages. Interdiction souvent outrepassée.
Dans les années 90 l’action infatigable des acteurs culturels va porter ses fruits et ils vont connaître une reconnaissance internationale à l’heure ou la world music est en vogue, c’est le cas d’I Muvrini, A Filetta, mais aussi de chanteurs solo comme Petru Guelfucci qui aura beaucoup de succès au Canada.
Rappelons-nous qu’en 1992 les Nouvelles Polyphonies Corses interprètent une création lors de la cérémonie d’ouverture des Jeux Olympiques d’hiver d’Albertville.
Les groupes insulaires se professionnalisent tout en maintenant le fil d’une tradition toujours vivace. De nombreux autres groupes ont vu le jour dans les années 80,90 et 2000: l’Arcusgi, Cinqui so, I Surghjenti, Voce Ventu, Soledonne (groupes d’artistes féminines) mais également des chanteurs solo comme Feli, Patrizia Gattaceca (également membre de Soledonne), Mighela Cesari, Petru Guelfucci, Anna Rochi, Mai Pesce (membre des Chjami Aghjalesi), Sekli et bien d’autres…à noter la présence tout de même importante des artistes féminines.
Avec la volonté tenace de transmettre le chant traditionnel et la langue qui est intrinsèquement liée ainsi  que  les valeurs que le chant véhicule, des écoles ont été ouvertes. La plus célèbre étant la Scola di Cantu di Natale Luciani, membres fondateurs du groupe Canta u populu Corsu, et militant politico-culturel infatigable, malheureusement disparu.

De nombreux jeunes y sont passés et ont eux même formés des groupes ou pour certains intégrés Canta u populu Corsu.
Le chant corse d’aujourd’hui continu d’avoir de nombreux défi à relever :

« Sur le plan général il se doit de persévérer dans le rôle d’ambassadeur que lui confère désormais sa renommée internationale, en portant hors de l’île le message d’une culture opprimée désireuse d’officialité tout en ménageant l’investissement capital dans le tissu socio-culturel corse. La fonction de représentation permanente ne devant pas oblitérer le devoir de fidélité aux sources. Sur le plan esthétique, il lui faut osciller, sans cesse, entre les deux pôles antagonistes mais complémentaires de la tradition et de la modernité. (…) Eviter l’écueil de l’acculturation totale tout en satisfaisant l’élan vital de la recréation perpétuelle, jouer sans cesse entre tradition et modernité entre authenticité et universalité : existe-t-il une plus belle définition de la culture ? »

Le théâtre, le pari de la création :

« Le théâtre traditionnel en Corse est un moyen d'expression récent qui remonte à la fin du XIXème et à la première moitié du XXème siècle avec notamment des écrits de Vattalapesca et Nottini. Les années 70 voient l'éclosion d'un renouveau culturel et l'apparition de jeunes troupes comme Teatru Paisanu, Scola Aperta, A cumpagnia di l’olmu, A Tribbiera. Dès lors le théâtre corse a su trouver un public, héritier des foules qui assistaient aux drames sacrés joués pendant des siècles sur la place de nos églises. » 
Là encore les années 70 sont au cœur de la production théâtrale. Le théâtre va y trouver sa place, comme le moyen d’expression d’une langue et d’une identité.

C’est un théâtre bénévole, il n’ya pas de rémunération des acteurs, tous se considèrent comme des militants culturels, ils sillonnent les routes de Corse, où sur des scènes de fortune ils s’improvisent, expriment un quotidien difficile.
La formation Teatru Paisanu se revendique comme l’expression du peuple un « théâtre social » pour Dumenicu Tognotti son fondateur il s’agit de : «  rendre sensibles les fondements imaginaires qui structurent l’identité afin que soient mises en mouvement, dans le champ politique, des forces subversives libératoires »
La pièce la plus emblématique est certainement à Rimigna (la mauvaise herbe) qui relate une période noire de l’histoire de la Corse. Après la conquête française de 1769 une période de pacification sanguinaire s’ensuit, avec pour apogée 1774, où plusieurs résistants corses sont pendus en place publique, parmi eux un enfant de moins de quinze ans, Marcu Maria Albertini, sera torturé et pendu. Cette histoire a marqué la société corse et est parvenu jusqu’à nos jours, « A Rimigna » en est la mise en scène.
Nous sommes ici en présence d’un théâtre militant, le théâtre corse est « subversif », il pousse à une prise de conscience de soi.
Le travail d’A Tribbiera est également remarquable, Dominique Petris et Michele Casalta en sont les fondatrices, elles créent à partir de la « mémoire, l’inconscient collectif et l’affabulation » ; Une autre troupe de théâtre naître à Ajaccio dans les années en 1987, Locu Teatrale  créée par Marianne Nativi et Mario Sepulcre, ils se revendiquent d’un « théâtre de recherche ».
 
On peut également évoquer a Cumpagnia di l’Olmu qui deviendra en 1989 U Teatrinu le noyau de la troupe étant  F.Berlinghi, Guy Cimino, Jo Fondacci et J.P Lanfranchi, « Un des éléments de leur réussite est l’équilibre trouvé entre les racines du parler populaire vivant et sa transposition à la scène moderne, ainsi que l’intégration du chant et de la musique à leur production . » Depuis de nombreux comédiens sont venus grossir la troupe notamment Jean-Pierre Guidicelli, M.Ange Geronimi, Stella Guelfucci.
Ils font preuve d’une activité productive importante et en dehors des pièces de théâtre ils participent à de nombreux projets notamment pour la télévision régionale : mini scénettes, court-métrage, très prisés par le public insulaire. Là nous retrouvons le trait marquant de la scène insulaire, qui traduit d’ailleurs un trait culturel très prononcé des Corses, « La macagna » forme de plaisanterie parfois satirique.
Cette ironie, se retrouve également chez d’autres acteurs de la scène insulaire, comme Teatru Mascone et plus tard Tzek et Pido. Ici les petits travers de la société Corse sont traités avec un humour parfois tendre, parfois très incisif. Pour Teatru Mascone (Nicou Maraninchi de son vrai nom) qui sillonne chaque année les routes de Corse, avec un nouveau spectacle, la scène est l’occasion d’évoquer l’actualité brulante, le milieu politique insulaire est aussi un formidable champ d’inspiration pour l’artiste. Il profite aussi de la scène pour prendre à contre-pied quelques poncifs bien enracinés sur le caractère ou le mode de vie des insulaires.
 
Tzek et Pido (Jacques Leporati et Eric Fraticelli) toujours sur le ton de la « Macagna » introduisent des préoccupations universelles assaisonnées à la mode Corse : la drague, les filles, etc… Aujourd’hui séparés ils continuent à se produire en  solo et participent  à de nombreux projets artistiques, notamment des tournages de long-métrage.
           
La scène insulaire souffre du manque d’infrastructure adapté à l’expression artistique, Michele Raffaelli a été le premier à évoquer le problème dans les années 80, bien que les choses se soient un peu améliorées, il y a toujours un certain manque de reconnaissance de la pratique artistique par les institutions même si tout de même, certaines compagnies sont aujourd’hui subventionnées.
Le nombre d’enfants pratiquant le théâtre a considérablement augmenté et des formations sont mises en place, mais un long chemin reste à faire. En ce qui concerne les salles de spectacle on peut citer le théâtre de Bastia, la petite salle de l’Aghja à Ajaccio, on peut saluer également l’ouverture, à l’initiative de l’Università di Corsica, de la salle de spectacle Natale Luciani en 2008, les artistes y rencontrent d’ailleurs un franc succès à chaque représentation.

Conclusion :

Avec ce bref parcours, qui ne saurait être exhaustif, de ce qu’est la création insulaire, on se rend compte que celle-ci reste très importante. Elle est l’expression d’une société qui a su se réapproprier les attributs de son identité et qui aujourd’hui invente et se renouvelle à travers son génie artistique. Les acteurs culturels ont su allier tradition et modernité dans un acte de création toujours en mouvement. Les artistes prouvent  par leur travail, que la langue et la culture corses sont encore capables de produire du sens, ici et maintenant. Gilles Deleuze ne disait-il pas que la résistance réside dans l’acte de création…
 « Une culture qui s’interroge, consciente- donc vivante- sur son propre devenir »
 

 
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