Réforme du Parlement : Vers une République déracinée ?




La loi du 22 janvier 2002 relative à la Corse impose au Gouvernement de saisir pour avis l’Assemblée de Corse sur les projets de textes législatifs ou réglementaires comportant des dispositions spécifiques à la Corse. N’étant pas le cas pour les projets de loi constitutionnelle, l’Assemblée de Corse n’a eu qu’à donner son avis sur les projets de lois organique et ordinaire découlant de la réforme constitutionnelle.
 
La réduction de 30% du nombre de parlementaires est au cœur du débat. La question n’est pas de savoir si c’est opportun de le faire, mais où c’est opportun de le faire. A Paris, on change de député d’un trottoir à l’autre, alors que la deuxième circonscription de Haute-Corse regroupe 191 communes – soit 53% des communes insulaires – avec des problématiques multiples et variées.
 
Pour les territoires ultramarins relevant des articles 73 et 74 de la Constitution, les circonscriptions peuvent être réparties à l’échelle des collectivités.
Pour la métropole, dont fort heureusement la Corse fait toujours partie, le projet prévoit de ne pas descendre en-deçà d’un député et d’un sénateur par département, permettant ainsi à la Corse de disposer de 2 députés et de 2 sénateurs, ce que n’aurait pas permis la seule dimension démographique. De 6 parlementaires, nous passerions à 4. Et s’il s’agit là d’une représentation parlementaire minimale sous laquelle il est impensable de s’aventurer, nous nous réjouissons d’être partie prenante de l’environnement constitutionnel de l’article 72.
 
Deuxième sujet, l’introduction d’une dose de proportionnelle aux élections législatives. 61 sur 404 députés seraient élus au scrutin de liste proportionnelle à un tour sur l’ensemble de la France quand les autres le seraient dans le cadre actuel, majoritaire à deux tours au sein de circonscriptions identifiées. Ce scrutin mixte bouleverse totalement la donne. Il y aura une distinction évidente entre les députés élus sur leurs noms et ceux portés par une liste, les premiers disposant d’une assise et de la connaissance des réalités, les seconds « hors sol » et déconnectés des attentes populaires.  La temporalité électorale est aussi inadéquate. Le jour du 1er tour, il y aura deux urnes dans chaque bureau de vote, une pour la liste nationale, et l’autre pour la circonscription. Le soir même, la tendance qui se sera dégagée dans le cadre de l’élection proportionnelle aura raison du second, avec les risques d’abstention que l’on peut supposer. Dans la composition des listes, on peut là encore imaginer qu’elle sera dominée par les leaders de partis et autres apparatchiks qui pourraient être élus sans avoir à sillonner un territoire. Enfin, la possibilité offerte aux candidats dans les circonscriptions de s’affilier à une liste nationale pour des questions de temps de parole et de compte de campagne, finit de confirmer la tendance au regain d’influence des partis politiques. S’ils doivent constituer des laboratoires d’idées et des socles militants, ils ne doivent pas primer sur le jeu électoral et politique, comme on a pu le connaître sous la 4ème République. Du mode de scrutin découle le système politique. Avant 58, la proportionnelle avec un mécanisme d’apparentement favorisait les partis politiques quand après 58, le majoritaire a généré la stabilité institutionnelle par des élus ancrés dans un territoire, l’incarnant tout autant que la Nation. Pour Napoléon 3, « le propre de la démocratie est de s’incarner dans un homme ». Pour Frédéric Mistral, « les arbres aux racines profondes sont ceux qui montent le plus haut ». Avec ce nouveau mode de scrutin, on s’éloigne de ces principes qui ont pourtant fait leurs preuves, quoi qu’en disent les cumulophobes.
 
Dernier point, celui du cumul dans le temps des mandats. En 2013 déjà, la loi Valls a interdit le cumul d’une fonction exécutive locale avec un mandat parlementaire. Pourtant, combien de maires ou de présidents de collectivités ont pu faire avancer les choses localement via leur rôle de parlementaire ? Et combien de parlementaires ont pu légiférer justement parce qu’ils connaissaient les attentes de la population via leur implication locale à la tête d’une collectivité ?
Maintenant que les élus ont choisi l’un ou l’autre, voilà qu’on les limite dans le temps à l’exercice de trois mandats consécutifs, privant le peuple, théoriquement souverain, de sa capacité de sanction ou de reconduction selon que l’élu ait démérité ou réussi.
Le Gouvernement saisit l’occasion de cette loi pour renforcer les règles de non cumul en Corse. Déjà en 2013, nous avions contesté le fait que la présidence de l’Assemblée de Corse soit intégrée à la liste des fonctions exécutives locales à ne pas cumuler avec un mandat parlementaire, et pour cause, il s’agit d’une fonction délibérative distincte de l’exécutif territorial. Cette fois, est rajoutée l’incompatibilité des vice-présidences de l’Assemblée de Corse avec une fonction parlementaire, comme si le remplacement du président au cours des 48 heures de session mensuelle nuisait à l’exercice d’une fonction parlementaire.
 
La méconnaissance, la complexité et l’illisibilité du bicéphalisme insulaire doit nous conduire à nous interroger sur la pertinence de son maintien qui, outre des tensions et des difficultés d’organisation, n’apporte pas grand-chose à l’action publique en faveur des Corses.

Rédigé le Mardi 22 Mai 2018 modifié le Mercredi 23 Mai 2018

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